Notre monde – en cours de développement, notre environnement continue sa mutation vers un monde numérique où certains voient dans les avancées technologiques telle que l’impression 3D comme une quatrième révolution industrielle. Internet ayant été la précédente. Ainsi, notre monde doit être numérique ou ne sera pas.
Mais l’arrivée de ces technologies d’abord dans le monde de l’entreprise puis dans la sphère individuelle ne sont actuellement que des événements de surface même s’il semble que ces événements industriels puissent potentiellement impact nos différentes vies.
Un événement de surface ?
La véritable question ne concerne ni les outils ou les processus industriels mais la tentation de numérisation de nos existences et en premier lieu de nos existences professionnelles. Que nous utilisions ou que nous ayons la tentation d’utiliser de plus en plus des moyens digitaux est une réalité. Ces moyens, ces outils sont puissants, générateurs de plus-values et pas uniquement économiques. Nous aurions sans doute tort de ne pas les intégrer à vos activités.
Mais la tentation est forte de tout transformer, d’oublier les processus classiques, de penser, produire, utiliser et interagir numérique. L’idée est attrayante mais nos archives sont pleines de bonnes voire d’excellentes idées qui sont restées dans les cartons ou nous ont amené à stagner là où le progrès nous tendait les bras si nous avions su être patients et observateur.
L’histoire semble se reproduire, les outils sont déployés, le marketing, l’agitation médiatique tentent de nous convaincre que nous y sommes, que nous sommes tous les précurseurs d’une monde numérique où tout devient ludique et dématérialisé ! Mais la réalité, celle juste derrière la façade en carton-pâte, derrière cette fine surface est bien différente.
Le meilleur des mondes
Tout serait pour le mieux dans le meilleur des mondes si ces évolutions reposaient sur une forme de réalité, sur des fondations solides. Ce n’est pas le cas.
Si l’on considère la première tentation, celle de la dématérialisation des échanges ou des relations à l’échelle de l’entreprise, le sujet du travail collaboratif qui étrangement n’est pas nécessairement celui de la collaboration. Qui dit travail collaboratif, dit nécessairement (?!) outils numérique de travail collaboratif ! Combien de fois, ai-je entendu la simple demande : « quel outil collaboratif doit-on utiliser ? ». Étonnante interrogation ou principe.
La collaboration dans l’entreprise n’est pas un sujet qui se décide dans un coin même si ce coin est le sommet de la pyramide. C’est un processus de progrès qui nécessite l’adhésion de tous et donc la compréhension de tous.
La première interrogation devrait être l’identification du niveau effectif de collaboration dans l’entreprise et les objectifs associés. Ensuite, naturellement il est possible de poser des objectifs, des axes de collaboration, leurs niveaux (entre individus, département, filiales, etc.) et enfin, la finalité opérationnelle.
Une fois ce premier diagnostic posé, il devient aisé de mesurer le chemin à faire, quitte à commencer par consolider (mettre en œuvre?) ce qui a été annoncé comme existant et opérationnel !
Construire sur du solide
Cette analyse peut mener à considérer que la mise en place d’un progiciel ou d’une stratégie poussée de numérisation n’est pas d’actualité mais que de simples processus organisationnels avec les outils existants pourraient donner d’excellents résultats dans un budget maîtrisé. Cela peut paraître nettement moins attrayant qu’une stratégie basée sur le déploiement de l’outil à la mode dans le cadre d’un projet pluriannuel mais le principe de réalité doit rester vrai. Pourquoi vouloir désespérément faire compliqué lorsque l’on peut faire simple ? La numérisation de nos actions est une force mais pas une obligation.
Bien entendu, il existe des cas où tout est en place. Dans ce cadre la mise en place d’outils spécifiques permet d’aller plus loin, de collaborer encore mieux d’installer une réelle transparence dans l’échange de données, d’information, dans la construction de documents. Une absolue sphère numérique. Mais ces cas sont les plus rares.
Ce n’est pas le fantasme numérique ou de modernité qui doit dicter les actions ou les prises de décisions mais les objectifs en regard de la réalité opérationnelle. Cela n’empêche pas l’ambition, bien au contraire mais une ambition gérée, mise en œuvre dans de bonnes conditions, les conditions de la réussite.
La réussite de ces projets passe – une nouvelle fois – nécessairement par l’adhésion des premiers concernés, de la première richesse de l’entreprise, les salariés et en premier lieu les managers.
Un patron qui ordonne la numérisation de toute ou partie de son entreprise ou le plus souvent la mise en œuvre d’outils numériques souhaite insuffler à son entreprise une ambition, une vision numérique qui doit l’amener avec efficacité dans une nouvelle dimension qui peut ensuite permettre toutes les stratégies, toutes les agilités. Si ses managers ne savent pas comprendre cette demande, ne savent pas lire ce que pour lui représente l’illustration aboutie de cette évolution, la vision se transforme en gouffre, en difficultés qui deviennent rapidement un échec.
Échec qui pose une distance supplémentaire entre l’entreprise traditionnelle et ce possible avenir numérique. Et c’est l’entreprise numérique elle-même qui devient la seconde raison de l’échec, la première étant le plus souvent les salariés eux-mêmes alors qu’ils n’ont rien demandés. Ils n’ont pas su comprendre, pas su utiliser et le plus souvent pas le besoin ou pas le besoin de cette manière-là.
Car le point majeur est là, l’univers numérique n’est pas la collaboration, n’est pas la solution, cela reste le moyen. Les outils numériques, les briques de l’entreprise numérique doivent amener, déposer l’information, le processus, l’interface là où l’utilisateur est. Ils doivent amener le besoin sur la voie d’un usage évident, normal pas dans un décalage, un apprentissage ou une perception d’une difficulté. La première qualité de l’entreprise numérique doit être sa transparence, son évidence.
C’est à ce moment que l’évidence saute aux yeux. Ce changement, cette mutation de l’entreprise – mais cela reste valable à l’échelle de nos sociétés dites modernes – doit être accompagnée avant même de commencer, dès son inspiration, dès sa définition. Cet accompagnement doit être en phase de finalisation lors de la mise en œuvre opérationnelle de la commande. Ensuite, nous sommes dans la maintenance, pas dans l’accompagnement. Si l’accompagnement n’arrive pas à prendre racines, à devenir évident, à susciter envies et attentes, la conception et la mise en œuvre sont inutiles. Il faut savoir garder la volonté de mettre les maillons dans le bon ordre. Car il s’agit effectivement d’une chaîne de valeur strictement ordonnée.
L’entreprise numérique, une évidence ?
La demande primaire ne représente que la partie visible de l’iceberg. Il faut savoir creuser, questionner pour comprendre la raison profonde de cette demande et ensuite proposer le bon chemin et le bon ordonnancement.
Que se passe-t-il trop souvent ? Une armée de spécialistes tous très compétents et qui ont parfois du mal à se comprendre mettent en place LA solution et les salariés passent à côté, la moque, parfois l’utilisent à minima, la contourne.
Nous sommes alors face à un spectacle de désolation, d’un côté la solution numérique pour l’entreprise et de l’autre l’entreprise, ses salariés.
Les salariés seraient donc des divas capricieuses enfermées dans une autre époque ?Non, ils sont comme nous tous, calés dans leurs habitudes. Pourquoi remettre en cause ce qui fonctionne aujourd’hui et qui est maîtrisé pour le remplacer par un machin qui fait – a priori – la même chose mais de manière inconfortable et souvent non comprise ?
Ils sont habitués depuis plus de 2 siècles à leur entreprise basée sur le papier et le crayon. Le téléphone a été accepté et la dématérialisation n’est toujours pas un sujet car si les documents sont le plus souvent envoyés au format numérique, une grande majorité finie imprimée !
Combien d’interlocuteur arrivent en réunion avec un ou plusieurs courriels imprimés en laissant leur ordinateur portable confortablement installé sur leur bureau. La tablette fut annoncée comme une solution, oui pendant une petite année, la mode est passée. Faites le test (je l’ai fait ce matin au bureau), la place de l’ordinateur portable sur les bureaux est le petit espace où il n’y a pas de papier, de documents imprimés, juste à côté de la bannette qui permet de conserver les impressions des contenus que l’on a sur son disque dur. Je sais, le papier dure beaucoup plus longtemps et ne produit pas d’écrans bleus…
Nous sommes donc bien dans une société du papier, de tradition. Nous aurions pu penser que les usages venus de l’extérieur, les soi-disant générations Y ou Z aurait amené du neuf dans tout cela.
Que nenni, l’apport numérique se limite encore trop aux SMS, jeux d’arcade, fils d’information et réseaux sociaux. Pour le reste, rien ne change. De fait une partie de la réussite numérique dans nos vies, dans notre société vient de nouveaux usages, pas de la numérisation d’usages existants. Même la vente en ligne est – de fait – simplement la vente par correspondance (VPC) avec un site en lieu et place du bon vieux catalogue papier, elle n’a pas encore réellement su prendre le virage. Aujourd’hui, la vente de produits dématérialisés n’est pas une réelle réussite. Ce sont des acteurs neufs et entrants qui ont posés les bases des nouveaux services, les acteurs traditionnels eux multiplient les erreurs et les échecs enfermés dans des modèles traditionnels. Là où le média pousse aux circuits courts et à la décentralisation avec une proposition de valeur nécessairement en hausse, ils centralisent en dématérialisant les conditions de vente du siècle dernier. Exactement le même syndrome que pour les projets de collaboration ou communication numérique dans les entreprises.
Notre société est très loin d’être une société digitale et n’a pas nécessairement intérêt à le devenir. Les révolutions nous ramènent toujours à notre point de départ avec simplement de nouveaux noms pour des concepts anciens.
La sphère digitale mais je préfère utiliser les interfaces numériques sont de fantastiques jouets (pardon outils), des moyens absolus d’aller mieux et plus vite vers nos objectifs professionnels et personnels mais ce ne sont que des interfaces, des médiums et non des finalités.
Revenons au monde de l’entreprise et aux projets globaux ou partiels de numérisation de l’entreprise et de ses processus. Il ne s’agit pas de refuser ou de critiquer cette tendance ou cette volonté, bien au contraire, l’objectif est de transformer ces visions, ces volontés en succès d’entreprise en y incluant nécessairement les salariés et les cultures d’entreprises. Et, de nouveau, c’est bien en partant de la réalité de l’entreprise que tout est possible. La démarche initiale est donc de questionner, comprendre la réalité de l’entreprise pour lui proposer la démarche adaptée, la route vers sa cible en prenant bien soin d’en marquer les jalons, d’y associer les sponsors – garants du succès du projet sur le long terme.
Ensuite et ensuite seulement, la question de l’outillage et de la forme de la numérisation de l’entreprise peut être abordée. Pas avant.
Il ne faut pas hésiter à questionner les outils, les modèles tout fait afin d’apporter des réponses les plus proches du besoin et certainement pas le contraire !
Certes, il faut faire accepter que le temps du diagnostic soit parfois long mais qu’il représente le premier véritable investissement et qu’il n’y a pas de solution toute faite. Chaque entreprise, chaque institution est différente.
Respecter la réalité de l’entreprise et de ses processus, respecter cette forme de biodiversité est le premier pas nécessaire de la numérisation des interfaces, de ces lieux ou moments de rencontres. À titre d’exemple, pourquoi vouloir systématiquement remplacer les affichettes installées près de la machine à café (le premier lieu de collaboration de l’entreprise) par de simples messages courriel alors qu’il est si simple d’y poser des affichettes numériques – et pas de grands écrans installés à 3 mètres de haut – dont la mise à jour centralisée peut en contextualiser l’affichage, passer de l’information en temps réel (etc.) tout en continuant d’alimenter ce haut lieu de l’échange…
Gardons à l’esprit que cette numérisation n’est ni une fatalité, ni une obligation. Parfois il faut savoir respecter et conserver ce qui a depuis longtemps fait ces preuves, c’est le second pas vers un monde hétérogène, celui qui mêle habilement modernité et tradition, efficacité et confort d’usage.
Le meilleur des mondes.